La force des choses pourra secouer des milliers et des milliers de chômeurs, ou de travailleurs brimés par une usure patronale trop avide, elle pourra même soulever un peuple affamé et contraint par la violence à se résigner à sa misère, mais la force des choses ne concédera au soulèvement, à la révolte de tels éléments, qu’un espace assez limité pour se développer, pour s’épuiser. Les affamés s’arrêteront au pillage des dépôts de vivres, les salariés parviendront peut-être à imposer une considération plus juste du labeur, les chômeurs, après s’être égosillés à demander du pain et du travail, seront peut-être casés par lots dans quelques emplois provisoires. Et la force des choses payée par ses… victoires, se reposera, préparant de nouvelles situations qui répéteront les faits déjà advenus, avantageusement aujourd’hui, avec perte demain.
À l’inverse, la force des idées, bien que ne méprisant pas le facteur de la force des choses, veillant même sur elle pour pouvoir l’utiliser à profit, transformera le soulèvement en révolution par un acte de volonté ; et elle livrera bataille non pas pour une fin transitoire et contradictoire, mais pour un idéal de justice et de liberté qui une fois atteint, placera l’homme et l’espèce dans une dimension différente de celle dans laquelle il s’est agité jusqu’à aujourd’hui, et d’où il pourra se mouvoir vers un avenir toujours plus lumineux.
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Ci-dessous, le texte de la brochure:
20, comme prévu, le tic-tac de l’horloge de Georg Elser cessa de battre. Dans un terrible fracas, la colonne située derrière la scène se brisa, faisant s’écrouler tout le balcon qu’elle soutenait ainsi que le toit, en dévastant le local. Une pluie de débris de bois, de briques et d’acier s’abattit sur la scène en la pulvérisant complètement.


L’autogestion est cette aventure historique, ce jet monstrueux du nouveau dans le vieux,
Que faire avec ce monde ? Quels chemins emprunter face à cette société démocratique ? Tout individu qui se sent en profond désaccord avec l’existant et s’y affronte en cherchant une vie loin de la misère quotidienne, devra probablement un jour se poser ces questions. Le constat que nous vivons une époque pauvre en analyses, que nos pensées s’enlisent dans un marécage de mots, s’impose alors rapidement. Des mots qui ne nous appartiennent plus, mais qui doivent être redéfinis à chaque fois : dans les communiqués de presse des instances gouvernementales, lors des conférences de spécialistes, dans les articles engagés de journalistes, dans les coups de pub des entreprises, lors des campagnes électorales de politiciens. Des mots qui sont tellement et partout utilisés que nous ne savons à peine plus ce qu’ils signifient. La guerre, c’est la paix ; le travail, c’est la vie ; avoir de l’argent, c’est avoir des possibilités de choix ; la catastrophe nucléaire, c’est l’avenir radieux ; le contrôle, c’est la liberté… Il s’agit de ne pas se retrouver enlisé dans ce raz-de-marée de mots. Nous devons nous réapproprier le sens des mots afin de pouvoir partager nos idées et nos actes avec d’autres individus enragés, avec d’autres indésirables. Des idées et des actes en conflit avec ce monde. Des idées et des actes qui parlent en fait d’eux-mêmes, mais donnent très souvent lieu à de la confusion. La multiplication des mots sans signification, l’expropriation des pensées, voilà une des principales tâches de la démocratie. Au marché capitaliste des produits, la démocratie ajoute celui des mots. Attaquer tout ce qui cherche à limiter ou à détruire notre désir de liberté signifie, en plus du conflit avec les rouages du capitalisme, un affrontement avec ceux de la démocratie.
Dans de telles conditions, le système représentatif ne réalise ni la souveraineté populaire, ni la liberté de l’individu. Toute l’humanité est soumise à la tutelle des riches et des puissants, et les élections populaires n’ont de valeur qu’en ce qu’elles consacrent un tel état de tutelle. Dès que la multitude déshéritée et opprimée montre le moindre signe de rébellion, toutes les ressources du pouvoir et de la richesse sont mises en mouvement afin de la renvoyer dans la soumission.
Pour nous, il s’agit de comprendre comment et où on peut agir pour mettre fin à toutes les laideurs de la survie, en nous posant aussi la question de la destruction de la prison et de la justice. Et pour en finir avec la Justice, il est également essentiel d’arrêter de parler et de penser avec le langage du Droit, celui qui sert en général à dénoncer les « abus » de pouvoir. Ce n’est bien sûr pas pour cela que nous voulons contester au détenu tourmenté par le maton la possibilité de réclamer d’être traité correctement. Mais, en s’enfermant dans le tort partiel (les « abus » de maton) sans considérer la monstruosité représentée par l’existence même de la prison, le prisonnier se trouverait entraîné dans une comptabilité perverse : que signifie demander le droit d’être « traité correctement » ? N’importe quel individu n’aspirerait-il pas plutôt à ne pas être traité « du tout » ?
Donc, quand ces messieurs nous disent : « Vous êtes des utopistes, vous les anarchistes vous êtes naïfs, votre utopie ne peut pas se réaliser », nous devons dire : « Oui, c’est vrai, l’anarchisme est une tension, ce n’est pas une réalisation, ce n’est pas une tentative concrète de réaliser l’anarchie demain matin ». Mais nous devons aussi pouvoir dire : mais vous autres, messieurs les démocrates qui êtes au gouvernement, qui y réglementez la vie, qui prétendez entrer dans nos idées, dans nos cerveaux, qui nous gouvernez à travers l’opinion quotidienne que vous construisez dans les journaux, dans les universités, dans les écoles etc etc, qu’avez-vous réalisé ? Un monde digne d’être vécu ? Ou bien un monde de mort, un monde dans lequel la vie est un fait aplati, privé de qualité, sans signification, un monde dans lequel on arrive à un certain âge, au seuil de la retraite, et on se demande : « Mais qu’ai-je fait de ma vie ? Quel sens ça a de vivre toutes ses années ? ».


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