Caraquemada : sur les sentiers de la guérilla contre le régime franquiste

Revenir sur les pas d’un anarchiste qui a longtemps agi en solitaire, traversant les Pyrénées de part en part pour accomplir des sabotages en territoire franquiste, n’est de toute façon pas une tâche facile. Et quand on s’aperçoit en plus que la direction du Mouvement Libertaire en Exil ne soutenait pas la lutte en armes clandestine, ou alors juste du bout des lèvres, cela ne fait que renforcer la difficulté : les traces des nombreux compagnons anarcho-syndicalistes et anarchistes qui ont perdu la vie dans la guérilla contre le franquisme, n’ont ainsi été que fragmentairement documentées par « leurs propres camarades » restés plus ou moins au chaud sous les ailes de légalité républicaine française. Bien que de façon incomplète et malgré des sources parfois contradictoires, on essayera tout de même ici de reconstituer la trajectoire de Ramón Vila Capdevila, dit Caraquemada. Ce compagnon lutta pendant des décennies à sa manière, si possible en bonne compagnie et sinon en solitaire, visant en permanence à désorganiser les forces de l’ennemi, à semer le chaos dans leurs rangs, à jeter des grains de sable dans leurs engrenages, en s’attaquant inlassablement aux infrastructures d’énergie et de transport.

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Caraquemada : sur les sentiers de la révolte contre le régime franquiste

 

Ramón Vila Capdevila est né le 2 avril 1908 dans le village de Peguera, près de la petite ville Berga dans les Pyrénées catalanes. Il doit son surnom de « Caraquemada » (visage brûlé) à un triste accident de sa jeunesse. En 1923, un violent orage éclata alors que Ramón et sa mère étaient en train de travailler aux champs. Abrités sous un arbre, c’est là que le foudre s’abattit. Sa mère mourut sur le coup, tandis que Ramón fut grièvement brûlé, laissant des traces indélébiles sur son visage. Plus tard, un autre surnom lui sera donné, cette fois lié à son caractère solitaire, sauvage et têtu : « Jabalí » (sanglier). Ramón était un jeune fébrile. Ne pouvant pas rester en place, il partait parfois des longues semaines en vadrouille dans la montagne sans que personne ne sache où il était. Pour gagner son pain, il se rendit très jeune encore dans les mines de Cercs, à Figols. C’est là que Ramón adhéra à la Fédération anarchiste ibérique (FAI) de la région du Haut-Llobregat et à la Confédération Nationale du Travail, la CNT anarcho-syndicaliste. Cette organisation de masse avait survécu aux années difficiles du pistolerismo des années 20, lorsque le patronat embaucha des mercenaires pour abattre des militants ouvriers, et avait déjà passé différentes périodes dans l’illégalité. C’est à ces années-là que remonte la présence de groupes d’action affinitaires agissant au sein même ou aux marges de la CNT : des groupes restreints d’anarchistes qui répondent les armes à la main à la terreur patronale et étatique, qui réalisent des sabotages et des attaques contre la répression, et qui remplissent à travers des expropriations les caisses de l’organisation anarcho-syndicaliste en soutien aux grèves ouvrières. Au début des années 1930, la CNT tentera également à plusieurs reprises de déclencher l’insurrection révolutionnaire pour proclamer le communisme libertaire, mais les soulèvements resteront locaux et seront écrasés par la répression. Ramón participa comme membre d’un de ces groupes d’action à une de ces plus fameuses tentatives insurrectionnelles, celle du bassin minier du Haut Llobregat en janvier 1932. Le 18 janvier de cette année-là, des ouvriers anarcho-syndicalistes appuyés par différents groupes d’action et des anarchistes aguerris comme Durruti déclenchent l’insurrection : les usines et les mines sont occupées par des ouvriers en armes dans tout le bassin industriel, les mairies sont prises d’assaut et le communisme libertaire déclaré. Le chef du gouvernement républicain espagnol, Azaña, envoie alors la troupe. Le massacre prévu n’aura pas lieu, mais des centaines d’ouvriers sont jetés en prison, et plus d’une centaine d’anarchistes (dont Durruti, Ascaso, Oliver,…) sont déportés vers la colonie espagnole de Guinée équatoriale ou vers les îles Canaries, en vertu de la Loi sur la Défense de la République. Ramón est finalement arrêté dans les montagnes alentours en compagnie d’autres rescapés de l’insurrection, puis incarcéré à Manresa pendant près d’un an comme « prisonnier gouvernemental » (sans procès comme le veut la loi d’urgence). L’insurrection du Haut Llobregat avait aussi montré les dissensions qui existaient au sein d’une CNT qui comptait déjà des centaines de milliers de membres. D’un côté, ceux qui souhaitaient rester à l’intérieur du cadre républicain, misant sur la perspective d’une croissance quantitative de l’organisation et l’obtention de réformes importantes, et d’un autre côté ceux qui pensaient que les temps étaient mûrs pour une action insurrectionnelle qui, bien qu’elle pouvait échouer, allumerait en tout cas des flambeaux inextinguibles sur le chemin vers la révolution sociale.

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A sa sortie de prison, Ramón se rend à Barcelone et participe aux agitations ouvrières. Il n’existe pas beaucoup d’éléments connus concernant son activité, mais il est probable qu’il fait à nouveau partie des groupes d’action anarchistes, comme le montre sa participation en 1935 à un braquage à Algemesí (province de Valence). Au cours de leur fuite, la voiture des expropriateurs s’écrase contre un arbre et Ramón est arrêté, tout comme son compagnon Ramón Ribes Capdevila. Incarcérés à Tortosa (Catalogne), les deux Ramón réussissent heureusement à se faire la belle juste avant leur procès. Le 10 avril 1936, on retrouve leur trace lors d’un autre braquage, celui d’une pharmacie à Castellón. Surpris par des policiers, les anarchistes ouvrent le feu : un flic reste immédiatement sur le carreau, tandis que Ramón Ribes, est grièvement blessé (il décédera de ses blessures). Caraquemada réussit tout de même à quitter cette maudite place, notamment en lançant des ampoules de gaz paralysant. Poursuivi par des passants qui guident les flics, il est finalement arrêté dans un champ d’orangers à l’extérieur de la ville, puis transféré à la prison San Miguel de los Reyes (Valence). Dans ce vieux monastère transformé en taule où les chances d’évasion étaient faibles, Ramón savait qu’il risquait fort d’y passer de longues années. C’était pourtant sans compter sur la nouvelle tentative insurrectionnelle des compagnons qui se déroula quelques mois plus tard, en juillet 1936, et tourna cette fois à leur avantage. A Valence, les noyaux anarchistes qui formeront plus tard la Colonne de Fer attaquent la prison de San Miguel, ouvrent toutes les portes et laissent les prisonniers choisir entre partir pour leur propre compte ou intégrer ce qui allait devenir la mythique Colonne de Fer, réputée pour son intransigeance et sa lutte incessante pour la révolution sociale. Ramón, comme près de 400 autres prisonniers, décide de se joindre à la Colonne de Fer qui établit un front contre les fascistes hors de Valence. Forte de sa conviction que la guerre contre les fascistes doit coïncider entièrement avec la révolution sociale anarchiste, la Colonne organise plusieurs descentes « à l’arrière », notamment à Valence et Castellón, pour combattre la collaboration d’une partie des dirigeants de la CNT avec les forces républicaine et stalinienne, et s’opposer à la répression de ces dernières contre les réalisations révolutionnaires. Ramón participe notamment à une de ces virées sur Castellón, où les archives de police ainsi que les registres et cadastres de propriété sont brûlés. Sous la pression d’une CNT engluée dans ses compromis avec les autres forces antifascistes, qui exigent la militarisation des milices confédérales, l’assemblée générale de la Colonne de Fer du 21 mars 1937 finit par céder comme les autres : la Colonne est démantelée, ceux qui le veulent peuvent intégrer la 83ème Brigade Mixte de l’armée républicaine. Ramón s’y refuse et retourne à Berga. En mars 1938, il est mobilisé et s’intègre à la 153ème Brigade Mixte, la résultante de la militarisation de la colonne confédérale Tierra y Libertad. Fin mars, la Brigade est encerclée par les troupes fascistes. Ramón erre des semaines en terre hostile avant de réussir à regagner la zone républicaine. Il retourne alors à Figols. En février 1939, ensemble avec un demi million d’autres réfugiés, il traverse la frontière espagnole et est interné dans le camp de concentration d’Argèles-sur-Mer, où les très dures conditions de vie sont à l’origine de nombreux morts. En 1940, Ramón coupe les barbelés du camp d’Argèles, s’évade et rejoint les groupes anarchistes impliqués dans la lutte clandestine. Ils effectuent de nombreuses incursions en Espagne, traversant les Pyrénées à pied, et mettent en place un réseau d’évasion pour aider celles et ceux qui veulent s’échapper des zones sous contrôle allemand. En 1942 lors d’un passage en France, Ramón est arrêté par des soldats allemands dans les rues de Perpignan. Ne pouvant pas présenter de vrais papiers, il est enfermé à la citadelle de la ville, où il lui sera proposé comme à d’autres espagnols d’aller travailler dans une mine de bauxite à Bédarieux (Hérault) pour l’Organisation Todt, le groupe de génie civil et militaire du Troisième Reich notamment basé sur des détachements de travailleurs étrangers forcés. En février 1944, ayant appris que la Gestapo était à sa recherche après avoir remonté ses traces, il s’évade du travail forcé à la mine et intègre le maquis, d’abord dans le réseau Menessier près de Limoges (chargé de récupérer les armes et le matériel parachutés par les Alliés), ensuite en juin dans le groupe de Francs-Tireurs-Partisans (FTP) de Rochechouart, en Haute-Vienne. Technicien qualifié en sabotages et dans l’utilisation d’explosifs, il retrouvera au sein du maquis de nombreux anarcho-syndicalistes espagnols. Après le débarquement allié du 6 juin 1944, Ramón (devenu le capitaineRaymond) et son maquis participent activement aux opérations de harcèlement contre la division blindée SS Das Reich en route pour la Normandie. Le 7 juin, ils sabotent le viaduc de Saint-Junien et le lendemain occupent la mairie. Le 11 juin, avec deux cents maquisards, Ramón participe en gare de Mussidan, près de Périgueux (Dordogne), à l’attaque d’un train blindé qui fut immobilisé après qu’aient été tués une cinquantaine de soldats allemands. Le 1er août, il participe victorieusement à la défense de la petite ville de Chabanais attaquée par les nazis, puis, du 12 au 21 août, aux combats pour la libération de Limoges. Ramón participe ensuite à des dizaines d’opérations contre les divisions de SS avant de s’intégrer à un nouveau détachement, constitué presque uniquement de libertaires, qui se donnera le nom de Bataillon Libertad à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne). Ce bataillon participera jusqu’en mai 1945 à la libération des dernières poches occupées par les troupes allemandes sur la façade Atlantique.

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Avec la défaite de l’Allemagne nazie, les espoirs de nombreux exilés espagnols se rallument. Malgré les hésitations des dirigeants de la CNT en exil, de nombreux groupes de guérilla se montent pour traverser les Pyrénées et porter la lutte au cœur de la bête franquiste. Ramón Vila n’hésite pas une seconde, comme tant d’autres compagnons dont les noms les plus connus sont Sabaté, Facérias, Wencesloa, Massana… Il s’emploie d’abord surtout comme guide de haute-montagne pour accompagner les groupes d’action lors de leur traversée des Pyrénées. De son côté, le Parti Communiste espagnol lance également une opération sous sa direction en octobre 1944, mais dans le pur style soviétique, concentrée et militarisée : une « grande invasion » de l’Espagne franquiste. Le Parti fera marcher plus de 3000 guérilleros vers les vallées d’Aran et du Roncal, où ils se heurteront à une résistance acharnée et bien organisée des troupes franquistes, et furent défaits. Si des groupes sporadiques de guérilla communiste et républicaine persisteront jusqu’en 1948, l’année où leurs chefs jugeront toute action armée perdante, ce sont surtout les groupes libertaires qui repartent à l’assaut, à la façon d’une guérilla de petits groupes agiles et mobiles agissant à la fois à la campagne (notamment dans les montagnes catalanes, à l’ouest de Tarragone, dans la région de Valence et en Aragon), mais aussi beaucoup en ville, notamment à Barcelone. L’enthousiasme et la détermination de ces nombreuses poignées de résistants anarchistes qui pourront compter sur d’importants soutiens à l’intérieur de l’Espagne même, ne se heurtent pas seulement aux difficultés de la lutte clandestine et à un appareil répressif implacable et bien organisé, mais également aux dissensions, au bureaucratisme, au politicardisme et aux luttes d’hégémonie des cercles dirigeants de la CNT en exil basé à Toulouse, toujours divisés entre ceux qui voulaient continuer à collaborer avec le gouvernement républicain en exil et ceux qui considéraient cette collaboration comme un échec total et une pente fatale (ce qui n’empêcha pas les tenants de ce refus de la collaboration, comme Federica Montseny et Germinal Esgleas de construire, de leur côté, une bureaucratie étouffante, une gestion centralisée et une propagande de mots durs qui resteront en général lettre morte, nuisant fortement à la lutte clandestine). Les années 1945 jusqu’à 1949 connaîtront donc une forte augmentation de l’activité de groupes de guérilla anarchiste en Espagne, avec de nombreuses fusillades, attentats, embuscades, sabotages, mais aussi de nombreux compagnons et compagnonnes tombés au combat. Si on doit se fier aux statistiques établies par les historiens, plus de deux mille guérilleros toutes tendances confondues trouveront la mort ces années-là. D’abord guide dans l’immédiat après-guerre pour plusieurs groupes d’action (sa première incursion en territoire franquiste à cette époque semble dater du 21 avril 1946, lorsqu’il accompagnera le groupe de Sabaté jusqu’à Barcelone où ces derniers allaient porter des armes et tenter d’éliminer le mouchard Eliseo Melis Diéz), Ramón montera aussi son propre groupe d’action et de soutien logistique nécessaire, dans la zone de Bergueda, à cheval entre l’Espagne et la France. Un autre groupe anarchiste, autour du compagnon Massana, était également actif dans cette même zone, adaptée au passage de la France vers Barcelone (entre collines, vallées, forêts et montagnes) et où persistait aussi une certaine présence d’anarcho-syndicaliste ou de sympathisants de la lutte anti-franquiste au sein de la population locale (ouvriers, paysans et montagnards). Lors des longues marches à travers les Pyrénées, les groupes de guérilla durent affronter des policiers à plusieurs reprises. En même temps, il fallait également s’occuper de trouver des moyens financiers pour soutenir la lutte. Ramón semble avoir participé à plusieurs de ces expropriations, comme en novembre 1946 où, ensemble avec le groupe de Massana, ils braquent la trésorerie de la Compagnie de Lignite à Serchs, un coup qu’ils répéteront un an plus tard, le 17 mars 1947, ou encore le braquage d’un grand propriétaire foncier à Malanyeu. Une des constantes des résistants libertaires tout au long de ces années sera en plus la tentative de liquider Franco lui-même. En mai 1947, Ramón guidera par exemple à travers la montagne un groupe de trente compagnons venus tendre une embuscade au dictateur qui devait visiter la région de Bages. Le plan consistait à miner la route, faire exploser la charge au passage du convoi et finir le travail à coups de fusils-mitrailleurs et de pistolets. Quelques intégrants du groupe furent malheureusement surpris par des policiers et durent ouvrir le feu, alertant toutes les forces répressives de la contrée et rendant impossible la poursuite du plan. Entre 1947 et 1948, Ramón montera plusieurs fois encore au braquage, comme le 25 juin 1948 où ensemble avec Massana, il réalise des expropriations importantes à Sant Corneli et Sant Salvador. A cette époque, après avoir accompagné les groupes d’action voulant se rendre à Barcelone ou ses alentours, Ramón, accompagné d’un autre compagnon mais aussi en solitaire, ne peut s’empêcher d’effectuer d’une pierre deux coups et ponctue régulièrement le chemin du retour de sabotages : il fait ainsi exploser à deux reprises les canalisations d’eau de l’usine de Carbures de Berga, provoquant la paralysie de la production, ou encore sauter des pylônes de la ligne à haute-tension Figols-Vic, une pratique qui deviendra une de ses activités favorites pour semer la désorganisation dans les rouages du franquisme. Les traversées des Pyrénées à pied et les longs séjours dans les montagnes et les forêts n’étaient pas une promenade de santé, et les guérilleros pouvaient mettre jusqu’à trois semaines avant d’arriver jusqu’aux abords de Barcelone depuis la France. Ces traversées exigeaient des efforts physiques très importants, et requerraient en plus une attention constante, vue la présence de nombreuses patrouilles de la Guardia Civil ainsi que de possibles délateurs au sein de la population rurale. Des témoignages de compagnons ayant fait partie d’expéditions où Ramón était leur guide, soulignent sa force herculéenne mais aussi son endurance exceptionnelle. Il est arrivé plusieurs fois que ses hôtes soient épuisés, n’arrivant plus à suivre le rythme de marche suite au manque de nourriture et de repos, mais Ramón n’en avait généralement cure et refusait de céder. Il n’avait pas gagné son surnom de Jabalí pour rien.

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L’année 1949 va connaître un regain important de l’activité des groupes d’action anarchistes, contrairement à l’avis des bureaucrates de la CNT en exil à Toulouse. Pour Ramón, l’année commence avec quelques difficultés. Après avoir accompagné le groupe de Massana dans la région de Gérone où ces derniers effectuent plusieurs expropriations d’usines, le 28 février, Ramón et un autre compagnon, Pernales, tombent sur une patrouille de la Guardia Civil à Miquel de Pínos. Une fusillade éclate, un flic est grièvement blessé. Ramón est également touché, mais il parvient à s’enfuir à travers la forêt avec Pernales. De là, il regagne ensuite sa base au mas Tartàs, côté français. Enfin remis de sa blessure en avril, il repart sur les sentiers, cette fois pour acheminer une importante cargaison d’explosifs vers un point d’appui de la guérilla intérieure, près de la ville de Manresa, située à une soixantaine de kilomètres de Barcelone. Une dizaine de compagnons l’y attendent pour monter une opération de sabotages coordonnés. Divisés en cinq groupes, chacun étant chargé d’une zone, c’est ainsi qu’une nuit de mai 1949 plusieurs pylônes de lignes à haute-tension sont sciés et abattus à l’explosif, tandis que le chemin de fer est lui aussi saboté en plusieurs endroits (notamment en faisant sauter deux transformateurs). C’est une réussite totale : l’électricité d’une bonne partie de Manresa et de ses zones industrielles est coupée pendant plusieurs jours, et la circulation ferroviaire vers la ville est paralysée. De retour au mas Tartàs, la gendarmerie française fait une nouvelle perquisition (elle l’avait déjà fait deux ans auparavant) et trouve, à nouveau, un important arsenal d’armes et d’explosifs, ce qui vaut à Ramón un séjour de quelques mois derrière les barreaux. Il sortira en juillet 1949 suite à une amnistie octroyée par le gouvernement français, mais sera contraint par les autorités de s’installer dans le Puy-de-Dôme. Il y restera quelques mois, avant de se soustraire au contrôle des policiers français. En septembre 1949, Ramón repart et guide jusqu’aux faubourgs de Barcelone un groupe de six compagnons liés à Saturnino Culebras, mais ce voyage prend une tournure tragique. Lors du retour, le compagnon italien Helios Ziglioli est surpris en train d’acheter de la nourriture par les flics et abattu. Cela met les forces de l’ordre sur les traces de Ramón et de son accompagnant, le jeune frère de Quico Sabaté, Manuel Sabaté, qui est arrêté deux jours plus tard. Ramón réussit tout de même à retourner en France. Un mois plus tard, en octobre 1949, le groupe de Saturnino Culebras est arrêté à Barcelone puis jugé avec Manuel Sabaté. Ces deux-là seront condamnés à mort et exécutés le 24 février 1950, les autres seront condamnés à trente ans de prison.Plus généralement, la police espagnole procédera en 1949 à d’importantes rafles dans la région où étaient justement actifs les groupes de Ramón et de Massana. Sous des tortures atroces, d’autres noms allaient bientôt se rajouter aux listes de la Guardia Civil, et plusieurs seront condamnés à mort ou exécutés en leur appliquant la ley de fuga (on compte au moins 29 compagnons abattus ou exécutés, 11 blessés et 57 arrêtés entre 1947 et 1950). Le groupe de Massana se retrouvera par exemple plusieurs fois pris dans des embuscades policières, causant la mort de plusieurs guérilleros. Malgré cette sanglante vague répressive, Ramón traverse une nouvelle fois la frontière à la fin de l’année, le 22 décembre 1949, pour cette fois accompagner le nouveau groupe déjà très actif à Madrid et Barcelone de Wenceslao(Wences, ancien du groupe de Facerias, venait en février de monter son propre groupe de guérilla urbaine avec ses amis d’enfance de Saragosse, Los Maños). Comme trop souvent, ce fut là encore la dernière fois que Ramón put saluer ces compagnons, puisque trois d’entre eux trouveront la mort deux semaines plus tard après avoir été balancés : Wencesloa sera tué par la police dans les rues de Barcelone en janvier 1950, tandis que Simón Gracia et Plácido Ortiz arrêtés le même jour, seront condamnés à mort et fusillés en décembre de cette année. De son côté, comme d’habitude, Ramón ne suivit pas le groupe jusqu’à Barcelone, et rebroussa chemin avant d’arriver en ville, une fois son périlleux travail de guide accompli. Sur le retour, la nuit du 4 au 5 janvier 1950, il fit exploser deux pylônes près de Sant Vincenç de Castellet. Deux mois plus tard, et comme rien n’indique que Ramón ait regagné la France, on peut supposer qu’il est resté planqué dans les montagnes catalanes. Suivent alors d’autres sabotages du réseau électrique qui lui sont attribués : le 20 mars c’est un pylône qui tombe à Santa Maria d’Oló, le 21 mars un autre subit le même sort à Cercs, et le 23 mars c’est la voie ferrée qui saute entre Barcelone et Manresa aux alentours de Sant Vincenç de Castellet. Quand il regagne enfin la France en avril 1950, c’est la gendarmerie qui l’attend de pied ferme de l’autre côté et l’intercepte. Et comme d’habitude, celle-ci en informera sans vergogne la Guardia Civil. Ramón est finalement relâché des geôles républicaines en juillet 1950.

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Un an plus tard, presque jour pour jour en ce 17 juillet 1951, il est 22 heures lorsque les habitants de Lluçà entendent plusieurs détonations sur la colline de Plana. C’est le pylône 117 de la ligne à haute-tension entre Figols et Vic qui a été plastiqué : encore un coup de l’anarchiste Ramón Caraquemada. La Guardia Civil s’empresse d’interroger de nombreux habitants du coin, mais personne ne leur dit grand chose, ce qui amène les pandores à décrire dans leur rapport un « manque de civisme et de coopération avec les forces de l’ordre, sachant que ces maisons sont situées dans une zone très adaptée au brigandage». Dix jours plus tard, le 26 juillet dans la nuit, de nouvelles détonations résonnent sur le Mont Marcet, près de Sant Vicenç de Castellet. Trois pylônes ont été visés, mais seul un s’effondre. Sur le premier, deux pieds ont été sciés, contre un seul sur les deux autres pylônes. Un artificier de l’armée conclura que les charges utilisées pour abattre ces derniers n’ont pas été suffisamment puissantes : « sur le pylône 2699, il y avait trois charges de 200 grammes de TNT allemande et une mèche longue de quatre mètres ». Il est certainement plus probable que les charges aient été mal placées dans la précipitation qu’avaient peut-être les saboteurs suite au quadrillage policier de la zone : sur le premier pied préalablement scié, l’explosif avait bel et bien fait son office, mais l’explosion avait du éteindre la mèche de la charge attachée au second, également scié. Ramón et d’autres saboteurs fonctionnaient en effet souvent de cette manière. Pour abattre un pylône, ils sciaient deux pieds parallèles à la ligne électrique, puis plaçaient une charge d’environ 500 grammes de dynamite (ou son équivalent) soit sur chacun des deux pieds sciés, soit sur les deux autres, reliant les charges entre elles avec un cordon détonant pour s’assurer d’une explosion simultanée. La force de l’explosion éjectait alors le morceau des pieds de pylône sciés, ou faisait dans l’autre cas plier les deux pieds non sciés, provoquant la chute entière du pylône du côté des pieds sciés, arrachant dans un même élan ses câbles électriques. Le 4 août 1951, entre Aguillar de Segarra et Rajadell, trois nouveaux pylônes sont abattus. En plus, les rails du chemin de fer entre Barcelone et Saragosse sont sabotés, ce qui provoquera le déraillement d’un train express sans causer de victimes. Lors de ce séjour dans les montagnes catalanes, Ramón et le compagnon qui l’accompagnait auraient aussi braqué l’Hôtel Alfa à Figols ainsi que la mairie d’un petit village pour récupérer des papiers, des documents et des tampons. Après ces raids nocturnes et vindicatifs, Ramón repasse de l’autre côté des Pyrénées1. C’est encore une année plus tard, autour de l’été 1952, qu’on retrouve une trace de Ramón en Espagne. On sait peu de choses de ses activités au cours de toute cette période-là, sauf qu’il a été impliqué dans une expropriation à Figols en mai, et que le 11 juillet, à Villada, lui et un autre compagnon ont été surpris par une patrouille de la Guardia Civil, mais qu’ils ont pu s’enfuir après une fusillade. Vers la fin de l’année, l’État franquiste considère officiellement qu’il est enfin venu à bout de la résistance libertaire armée, tandis que de leur côté, les bureaucrates du mouvement libertaire espagnol en exil à Toulouse, font tout pour décourager ceux qui veulent rejoindre la lutte clandestine et les groupes de compagnons qui y sont toujours actifs. L’année suivante, en 1953, la répression franquiste réussit un grand coup, en parvenant à démanteler le pilier qui va de pair avec les attaques, la diffusion des idées. En juin, les interrogatoires musclés de membres du PSUC (Parti Communiste de Catalogne) arrêtés à Barcelone permet en effet de fil en aiguille à la police d’obtenir de nombreuses adresses de militants clandestins de la CNT, puis de loger l’imprimerie clandestine de Solidaridad Obrera, le journal de la CNT. Parmi les anarchistes arrêtés à l’imprimerie se trouvera son responsable, l’argentin Edgar Zurbarán, un ancien du groupe de Massana qui avait justement traversé la frontière l’année précédente avec l’aide de Ramón. Mais les pylônes tomberont encore cet été-là, malgré la vague répressive et les arrestations de nombreux militants de la CNT. C’est dans la zone de Bages et d’Osona où se trouve Ramón avec d’autres compagnons que plusieurs pylônes sont abattus entre le 21 et le 23 juin 1953. Le 27 juin, une charge explosive interrompt aussi toute circulation ferroviaire entre Barcelone et Sant Juan de les Abadesses. Le 15 juillet, des guérilleros, dont possiblement Ramón, blessent un lieutenant de la Guardia Civil lors d’une fusillade à Oristà. Le 23 juillet, ce sont à nouveau plusieurs pylônes qui sont abattus dans la région de Bages, et rebelote deux jours plus tard, le 25 juillet. Tous ces sabotages provoquent à chaque fois d’importantes coupures de courant, touchant à la fois les villes et les infrastructures industrielles de la région. Ce même été 1953, Ramón se verra attribuer une fusillade lors de laquelle la femme d’un médecin anglais est tuée pendant son excursion en voiture dans les montagnes catalanes. L’acte fait grand scandale à l’époque des deux côtés des Pyrénées. L’histoire devient encore plus obscure quand sort l’info que le médecin anglais travaillait probablement pour les services secrets britanniques. Mais si toute la presse avait intérêt à attribuer ce meurtre à un de ces anarchistes intransigeants comme Caraquemada, le compagnon Antonio Telléz qui a rédigé les biographies de Sabaté, de Facérias et d’autres livres sur cette guérilla libertaire contre le régime de Franco, affirme lui de façon catégorique que si Ramón ne s’est pas présenté aux autorités judiciaires françaises pour prouver son innocence dans cette affaire, c’est parce qu’il ne leur faisait à juste titre pas confiance. Et encore moins en pleine chasse aux sorcières. Un autre guérillero anarchiste, Joan Busquets, dira dans les années quatre-vingt dix que Ramón n’avait rien à voir avec l’affaire du couple britannique. Sans spéculer davantage sur son éventuelle implication, cette affaire allait durablement influencer la vie de Ramón. Les bureaucrates du mouvement libertaire en exil hurlaient au loup en voyant qu’un crime sanglant leur était indirectement attribué, tandis que des compagnons moins éloignés des activités de Ramón commençaient de leur côté à se méfier de lui. A partir de cette année-là, Ramón coupa définitivement tous les ponts avec l’Organisation et se limita à ne fréquenter que ses compagnons et amis les plus proches. Désormais aussi recherché en France, il vivra en clandestinité des deux côtés des Pyrénées. Lâché par l’Organisation à laquelle il avait tant donné depuis ses plus jeunes années, il ne cessa pas pour autant ses activités et ses incursions « explosives » en Espagne ; il les menait juste plus souvent de façon solitaire.

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A partir de 1953, les instances dirigeantes de la CNT et de la FAI en exil considéraient de toute façon la poursuite des activités de guérilla comme nuisibles. Sabaté en fit à son tour l’amère expérience, et prit beaucoup de distance jusqu’à couper les ponts avec l’Organisation de la rue du Belfort à Toulouse (il créera en 1955 les Grupos Anarco-Sindicalistas (GAS), qui publièrent leur propre organe, El Combate). Quant à Massana, un bon ami de Ramón, il s’était retiré de la lutte en 1951 suite à des problèmes avec la direction du mouvement libertaire et un incident avec la douane française à Couflens (Ariège) l’année précédente. C’est à lui que les dirigeants de Toulouse confient alors la mission… d’aller parler à Ramón pour le convaincre d’arrêter ses propres activités. C’était bien sûr le seul envoyé que Ramón acceptait de recevoir, mais cela ne changea rien à sa réponse de refuser de déposer les armes. Si ses activités subversives furent nécessairement plus réduites et plus solitaires, ce n’est pas pour autant qu’elles se turent. Chaque été depuis sa rupture, comme lors des beaux mois explosifs de juillet et août 1951 et 1953, Ramón part ainsi systématiquement faire un tour en Espagne pour y accomplir plusieurs sabotages. Jusqu’en 1960, il existe très peu de documentation sur ces derniers, et seulement quelques traces par la suite. En cette fin des années 50, tous ceux qui continuent doivent de toute façon encaisser des coups très durs. Il y a beaucoup d’arrestations, beaucoup de morts parmi ces compagnons, mais aussi parmi leurs soutiens et complices. En 1957, c’est par exemple Facérías qui trouve la mort à Barcelone après un affrontement avec la Guardia Civil ; trois ans plus tard, en 1960, c’est Sabaté qui meurt les armes à la main à San Celoni. Un an plus tard, la voix de la dynamite de Ramón clame cependant haut et fort que rien n’est fini, et pas seulement sous le soleil estival : en février 1961, plusieurs pylônes sont abattus à Rajadell, près de Manresa. Quelques jours plus tard, c’est un autre pylône qui saute à Pla de Vilamajor. Puis Ramón retourne côté français, toujours en clandestinité. C’est aussi en 1961 que les deux grandes scissions du Mouvement Libertaire en Exil se réunifient. A l’occasion de ce grand congrès tenu en septembre, il sera même décidé de relancer la lutte clandestine en Espagne. Conformément aux habitudes de la CNT, c’est un organisme sous contrôle du secrétariat général qui sera monté : la Defensa Interior (DI). Chaque tendance y parachutera ses adeptes, certains de bonne foi, d’autres plutôt motivés par leur angoisse de contrôle sur les possibles activités de cet organisme de lutte clandestine. Malgré quelques actions, l’activité de Defensa Interior sera quasi nulle, surtout à cause d’un manque de soutien qui ira jusqu’au sabotage de la part de l’organisation-mère. Les grandes résolutions prises lors du congrès de réunification sont restées lettre morte et Defensa Interior sera démantelée lors du congrès de 1965. Toujours en lien avec différents échelons du Mouvement Libertaire qui restaient favorables à l’action directe, ceux qui voulaient vraiment enfin relancer la lutte clandestine finiront par s’autonomiser encore une année plus tard, afin de se débarrasser du contrôle organique et de gagner une autonomie opérationnelle (ce qui donnera notamment le Grupo Primo de Mayo en 1966, mais c’est une autre histoire).Quoi qu’il en soit, en 1961, Ramón savait déjà de son côté par expérience ce que valaient les belles proclamations émanant du « bordel de la rue de Belfort », et continuera le combat sans rien attendre de lui et en ne lui devant plus rien. L’année suivante, le 5 ou 6 juillet 1962, il traverse à nouveau la frontière en partant de Prades, dans les Pyrénées-Orientales, cette fois en compagnie de Pedro Antonio Sánchez Martínez. Ils transportent des armes et des explosifs et descendent en direction de Bages. Vers Fonollosa, ils posent des charges de dynamite (fabriquée par la Société Nouvelle Française en mai de cette année-là) au pied de trois pylônes de lignes à haute-tension. Ils y laisseront aussi un drapeau de la CNT. C’était le 24 juillet 1962, et leurs sabotages provoqueront la coupure totale de courant entre les villes industrielles de Manresa et de Sabadell. Les deux anarchistes repartent ensuite en direction de la frontière française, mais la Guardia Civil est en alerte maximale. Après un premier accrochage avec elle, ils décident de se séparer. Pedro Martínez, le dernier accompagnant de Ramón, est arrêté quelques jours plus tard suite à une nouvelle fusillade puis condamné à 30 ans de prison en octobre. De son côté, Ramón aura lui aussi un problème pour traverser la frontière : il tombe sur une patrouille de gendarmes français et ouvre le feu près de Prada de Conflent pour semer ses poursuivants. L’été suivant, en 1963, c’est seul et désormais âgé de 55 ans que Ramón part en direction de sa zone d’opérations favorite : la région de Bages. Le 2 août 1963, il choisit trois nouveaux pylônes aux alentours de Rajadell (Manresa), près de la voie ferrée. Il scie deux pieds de chaque pylône avant de poser avec soin les charges explosives et les mèches lentes. À minuit, les pylônes se plient sous la force des explosions, le courant est coupé. La Guardia Civil quadrille alors la zone en mobilisant près de 400 hommes tout en se basant sur un plan préétabli suite aux sabotages antérieurs (possibles passages, position de la lune, horaires, jours…). Le 7 août 1963, un caporal et deux Guardia Civil de Manresa sont en embuscade près de Castellnou del Bages. C’est là que quelques minutes après minuit, les policiers ouvrent le feu sur un individu qui avance prudemment à la lumière de la lune. Grièvement blessé, l’homme tombe à terre. Les policiers s’approchent, inspectent les blessures provoquées par les deux impacts de balle. Plutôt que de le soigner, ils le laissent mourir d’hémorragie. Son agonie durera jusqu’à 6h du matin. Son nom était Ramón Vila Capdevila, l’imprenable Caraquemada. On pourrait presque dire que Ramón portait toute sa maison sur son dos. On trouvera sur lui 5779 pesetas et 100 francs, un sac à dos, quatre boîtes en plastique, une boîte de café soluble, une radio portable, un cahier d’exercices de mathématiques, un briquet, un pistolet Parabellum 9mm spécial avec un chargeur supplémentaire et 41 balles, un pistolet calibre .45 avec 37 balles et trois chargeurs, une grenade, un rouleau de mèche lente, des rouleaux de scotch isolant, un trousseau de clés, plusieurs scies à métaux, des lames pour se raser, un imperméable et un sac de couchage. Ramón est enterré là-bas, à Castellnou del Bages. Si la presse franquiste a crié victoire, de l’autre côté des Pyrénées, le Mouvement Libertaire en Exil (espagnol) a conservé un silence injustifiable. De la même façon que lorsque d’autres guérilleros anarchistes comme Sabaté ont trouvé la mort, pas une seule voix ne s’est élevée pour prendre la défense de Caraquemada, rappeler sa lutte et son parcours, ou pour lancer un défi aux autorités franquistes. Pas une seule. Il n’y a que dans un journal du mouvement français, Le Combat Syndicaliste, qu’apparaîtra une nécrologie de Caraquemada le 22 août 1963. Comme l’a dit Antonio Telléz : si c’est bien le franquisme qui a tué Caraquemada, ce fut le Mouvement Libertaire en Exil espagnol qui l’a l’enterré.

 

Je veux ma tombe

loin des cimetières

sans blouses blanches

ni caveaux dorés

Je veux que l’on m’enterre

loin de ces fausses demeures

où les gens chaque année

viennent déposer leurs pleurs

Je veux que l’on m’enterre

au sommet d’une colline

près de ce pin blanc

tout seul dans le ravin

Je veux que ma tombe soit

entre deux rochers

et mes compagnons

des couleuvres colorées des lézards verts

Je veux que ne viennent à mon enterrement

ni curés laïcs ni romains

et les fleurs seront

une gerbe de chardons piquants

Je ne veux pas non plus que l’on vienne

dire des discours et des psaumes

avec drapeaux et oripeaux

tares du monde civilisé

Comme oraison, les croassements

des corbeaux et des corneilles

les hurlements du vieux renard

quand aveugle il est abandonné

Pas de lumière des cierges

qui donnent des lueurs d’épouvante

m’éclaireront

éclairs et rayons

Je veux que ma tombe soit

couverte de hautes aubépines

de grandes et épaisses ronces

de chardons sauvages

Que pousse tout autour

l’herbe pour les troupeaux

et qu’à mon ombre s’allonge

le chien noir fatigué

Je veux que mon corps repose

loin du vacarme humain

près du grand pin

dans le ravin solitaire

Poème attribué à Caraquemada

1 Précisons aussi qu’en cette année 1951-1952 Ramón se trouvait un peu plus isolé, puisque Facerias était parti en Italie et que l’État français prit des mesures restrictives contre les activités anarchistes clandestines afin d’aider le régime franquiste. Francisco Sabaté Quico fut par exemple assigné à résidence à Dijon entre 1951 et 1955 (année où il reprit le combat), tandis que Marcelino Massana fut arrêté à Toulouse par la DST en février 1951, le gouvernement franquiste ayant demandé son extradition. Si cette dernière fut refusée, Massana fut tout de même assigné à résidence dans un petit village des Deux-Sèvres puis à Leucamp (Cantal) jusqu’en 1956. Il ne reprit par la suite pas ses activités antérieures.

Source: Caraquemada: sur les sentiers de la guérilla contre le régime franquiste, paru en français dans le numéro 15 d’Avis de tempêtes. Bulletin anarchiste pour la guerre sociale (mars 2019).

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