La Commune de Paris devant les anarchistes – Les groupes anarchistes bruxellois

Depuis des siècles que l’humanité est exploitée, les ambitieux ont toujours réussi à la trahir. Il ne faut pas que cela se renouvelle. Que le passé, encore une fois, nous serve de leçon !
Plus de maîtres ! Que la liberté absolue que nous appelons de tous nos vœux vienne supprimer les inégalités sociales.
Pas de discours inutiles. Plus de parlementarisme. Que la violence seule vienne faire comprendre à nos exploiteurs que nous t’entendons plus nous laisser tondre comme des moutons.

 

Ce document rare est une déclaration sur les exploits et les erreurs de la Commune, que publièrent en 1885 Les Groupes anarchistes bruxellois. Groupes dans lesquels se trouvaient – selon des compagnons qui contribuèrent à ce que ce témoignage échappe à l’oubli -, «parmi les plus intelligents et les plus actifs réfugiés de la Commune».

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Ci-dessous, le texte de la brochure:

La Commune de Paris devant les anarchistes

 

Lorsqu’il y a cinq ans, le tzar de toutes les Russies répondait au réveil de son peuple par des emprisonnements et les massacres en masse,nos bourgeois reculèrent épouvantés devant les cruautés de ce monstre couronné.

Ils ne se doutaient pas alors que le demi-quarteron d’anarchistes qui les combattaient deviendrait une légion.

Leurs esclaves, comme ceux du tzar, se sont réveillés. Ils ont compris, ceux qu’on appelle la canaille, que le progrès ne s’obtient que par la violence, et qu’il la fallait employer pour régénérer la société.

Dès ce moment, les persécutions les plus violentes se sont déchaînées sur ceux qui osaient arborer l’étendard de la révolte ; le bagne, la prison, la mort sont venus décimer pour un moment leurs rangs.

Cependant, ces persécutions n’ont fait que mécontenter de plus en plus le peuple. Il s’est habitué à considérer la révolte comme un droit et à applaudir chaleureusement ceux qui mourraient pour lui.

Il a compris également qu’il n’avait rien à attendre ni de la République ni du suffrage universel, puisque dans la République comme sous la domination royale, avec le droit au suffrage comme sous le droit divin, les ouvriers meurent de froid et de faim, à côté des richesses produites par leur seul travail.

Le peuple ne sera pas long avant de comprendre enfin que, puisqu’aucun gouvernement ne cherche à améliorer sa situation, il doit l’améliorer lui-même en supprimant ces mêmes gouvernements, quels qu’ils soient.

D’ailleurs, les gouvernements voudraient-ils améliorer la situation de leurs sujets qu’ils ne le pourraient pas, tant ils est vrai que la situation économique de la société n’a rien à voir avec le faux-nez dont s’affublent les politiciens.

Cette situation s’empire tous les jours, parce qu’on a trop produit et qu’on a pas assez consommé. Il ne s’agit donc pas de réclamer le droit au travail, mais bien de prendre le droit à la nourriture.

C’est ce qu’ont pressenti nos maîtres, et c’est pourquoi, à la liberté politique en Suisse, ont succédé les poursuites en masse ; c’est pourquoi aussi, à Bruxelles, le journal Le 18 Mars ne paraît pas, tous les imprimeurs de la ville s’étant refusés à son impression. On a voulu, en empêchant les anarchistes de rappeler à tous la grande date révolutionnaire, on a voulu faire manquer à leur parole ceux qui s’étaient chargés de l’exécution de ce numéro exceptionnel.

Nous avions tenu à faire savoir à tous qu’on n’avait pas réussi.

Nous racontons ci-après à grands traits ce qu’a été cette Commune de Paris ; qu’elle serve d’enseignements à ceux qui croient encore à la nécessité d’une dictature révolutionnaire.

***

Avant de raconter les principaux incidents de cette révolution si remarquable, malgré sa courte durée, il importe de rappeler succinctement les faits qui l’ont précédée et qui doivent la faire considérer comme légitime par tous les hommes de bonne foi, même par ceux qui ne croient pas – comme nous croyons – à la légitimité de toute révolution populaire à l’encontre d’un gouvernement quelconque.

Mais nous devons, dès maintenant, constater que le succès complet de l’insurrection dans Paris, donna, selon les traditions révolutionnaires et gouvernementales, un caractère de régularité au pouvoir qui s’établit après la fuite de M.Thiers et de ses troupes.

Oui, la Commune, élue par le peuple victorieux, fut le gouvernement officiel, et elle-même le considéra beaucoup trop ainsi en se mettant à légiférer : si elle n’a pas exercé son autorité sur tout le territoire français, c’est qu’elle en fut empêchée par l’entente monstrueuse des Chouans de Versailles avec les Prussiens pour le maintien de l’investissement de la capitale.

D’autre part, les hommes qui accaparèrent la direction du mouvement, dont ils n’avaient pas pris l’initiative, se montrèrent plus pressés de se couvrir de galons que d’étendre l’action révolutionnaire, en établissant immédiatement avec la province une entente sans laquelle on devait piétiner sur place, dans une impuissance fatale.

Ces gouvernants improvisés ne surent même pas employer les moyens que Trochu, Jules Favre et consorts venaient d’employer pour communiquer avec la France après l’investissement de Paris par les Prussiens.

Pendant douze jours, après le 18 mars, ils restèrent dans une inaction presque complète, comme absorbés par leur propre contemplation – sans songer que M.Thiers formait une armée à Versailles, sans s’apercevoir qu’on venait prendre à la Banque, dans Paris, l’argent pour la solde des troupes versaillaises, sans s’opposer au départ de plusieurs régiments qui se trouvaient encore, le 23 mars, dans les jardins du Luxembourg, à la gare Saint-Lazare et sur d’autres points de l’intérieur des fortifications, sans occuper, enfin, le fort du Mont-Valérien, dont les révolutionnaires de Suresnes et de Puteaux leur signalaient avec instance l’abandon inconcevable.

Toutes ces fautes, et beaucoup d’autres aussi énormes, permirent à M.Thiers de préparer tranquillement le massacre des Parisiens.

Mais n’anticipons pas davantage : nous dirons plus loin les responsabilités encourues, surtout celles de certains chefs civils et militaires qui, au lieu de s’occuper de faire constamment face à l’ennemi, passaient leur temps à inspecter les chœurs de l’Opéra ou à se pavaner, galonnés jusque dessus la tête, aux concerts des Tuileries ou du Champ de Mars en compagnie de femmes à la mode.

Nous le disons avec conviction ; si tous les chefs de la Commune avaient eu le caractère de Delescluzes et de Varlin, le courage de Flourens, de Duval et de Cypriani, condamné aux galères par la monarchie italienne ; si aucun n’eut préféré le bruit des bouchons de champagne à celui des fusils ; s’ils avaient été résolus à s’ensevelir sous les ruines de Paris plutôt que de le laisser prendre par les Versaillais, la Commune victorieuse aurait pu faire pendre comme traîtres, MM. Thiers, Jules Favre et leurs complices, et tous les français auraient applaudi, y compris M. Yves Guyot, qui a fait dresser plus tard une statue au prétendu libérateur du territoire, et les Prussiens épouvantés auraient accepté, pour se retirer, des conditions moins dures que celles dont la trahison du gouvernement de la Défense nationale nous imposa la honte.

I

La guerre de 1870 fut causée par la niaiserie et la scélératesse de Napoléon III.

Ce triste sire, dont la prétendue intelligence n’était, au fond, que de la perfidie, se laissa jouer bêtement par M. de Bismarck qui visait à nous faire prendre le rôle d’agresseurs, pour éloigner de nous toutes les alliances dans la guerre qu’il avait préparée depuis longtemps.

Il était évidemment impossible qu’un homme aussi profond politique que Bismarck eut pensé sérieusement à mettre un prince allemand sur le trône d’Espagne ; il connaissait trop la haine traditionnelle des Espagnols contre toute domination étrangère et leur ténacité patriotique, pour aller s’empêtrer parmi les populations qui avait chassé le roi Joseph et les armées que Napoléon 1er avait envoyé pour le soutenir.

Napoléon III, lui, ne devina pas le piège qui lui était tendu ; il ne comprit pas que l’Allemagne, qui ne possédait pas de marine suffisante et qui n’a aucun contact limitrophe avec l’Espagne, ne pouvait pas s’exposer à l’obligation d’aller soutenir un prince allemand dans un pays où il lui était impossible d’envoyer un seul soldat sans la permission de la France.

Mais, outre qu’il n’avait pas de discernement, l’homme du 2 Décembre était, en 1870, comme tous les joueurs en déveine ; effrayé de l’impopularité croissante de son gouvernement, il voulut tenter le sort, même au risque de perdre la France avec lui.

Un officier inventeur lui avait fait croire, en caressant ses ridicules prétentions en fait d’artillerie, qu’avec quelques mitrailleuses, secrètement fabriquées et essayées à Meudon, on pourrait détruire les armées allemandes comme un faucheur abat le blé mûr.

C’est en comptant uniquement sur ces joujoux militaires que le Napoléon de contrebande eut la folie de déclarer la guerre ; il ignorait que les Prussiens possédaient des canons qui lançaient des boîtes à balles à 5.000 mètres de distance, tandis que ses meilleures mitrailleuses ne portaient pas à plus de 1.500.

Cependant, pour parer aux responsabilités de la défaite possible, il eut la perfidie de faire crier à des braillards à ses gages et par une presse vendue : « A Berlin ! À Berlin ! » afin de pouvoir dire, le cas échéant, que le peuple lui-même l’avait poussé à déclarer la guerre.

Paris, plus directement menacé par les éventualités adverses d’une entreprise si folle, eut donc de graves motifs de mécontentement auxquels s’ajoutèrent ceux que nous allons raconter, et qui déterminèrent les soulèvements du 4 Septembre 1870 et du 18 Mars 1871.

II

Les défaites successives de nos armées et l’ignoble attitude de l’Empereur à Sedan, irritèrent d’autant plus le peuple que les généraux, les ministres et leur souverain avaient mis plus d’entêtement à déclarer la guerre en assurant, « d’un cœur léger », que nous étions prêts à la faire avec des garanties de victoire.

La France entière fut saisie d’une violente indignation ; elle qui n’avait pas voulu de cette guerre stupide, se montra prête à tous les sacrifices pour la continuer. Elle répudia la honteuse capitulation signée en son nom et, arrachant son drapeau des mains de l’Empire, elle se déclara en République, même malgré l’opposition des députés qui s’étaient présentés à elle comme républicains.

Comme en 1848, ce fut le peuple qui fit la révolution, pas ceux qui avaient briqué l’honneur d’être chargés de la faire. Gambetta eut l’impudence de dire aux envahisseurs du Palais-Bourbon : « Ne faites pas de révolution », lui qui avait pris des engagements révolutionnaires lors de son élection.

Malheureusement, par une inconséquence déplorable, on laissa les traîtres, dont on n’écoutait pas les lâches conseils, s’emparer du pouvoir ; et la mission de défendre la France républicaine se trouva entre les mains de ceux qui avaient pactisé avec l’Empire en lui prêtant serment.

Chose plus étrange et qui indique l’effarement produit par la crainte des Prussiens ; Blanqui et ses adeptes offrirent « leur concours le plus énergique et le plus absolu », aux usurpateurs de la révolution, à Jules Favre, à Picard, à Glais-Bizouin, Garnier, Crémieux, Jules Ferry, Gambetta, Jules Simon, Emmanuel Arago, Pelletant, Trochu et Rochefort. Cette offre fut du reste laissée dédaigneusement sans emploi.

Les blanquistes, et Delescluze avec eux, firent preuve en cette circonstance d’un manque total de prévision et d’énergie ; ils ne comprirent pas que la France ne pouvait être sauvée que par un immense élan révolutionnaire dont étaient fatalement incapables les assermentés de l’Empire.

Imbus d’autoritarisme gouvernemental et préoccupés de la défense nationale, ils voulurent à tout prix la centralisation des forces entre les mains d’un gouvernement quelconque, même au risque de laisser escamoter la Révolution ; le déchaînement des initiatives populaires, qui était le seul moyen de salut, leur parut un danger ; ils n’osèrent pas le provoquer. Faute énorme qui les rendit définitivement impuissants, même pour s’opposer aux trahisons évidentes préparées par Trochu, Jules Favre, Ferry et consorts.

Le peuple, trompé par les déclarations officielles, considéra comme agents prussiens ceux qui lui disaient de se défier des fameux plans de Trochu ; n’avait-il pas l’assurance de Jules Favre, qu’on ne livrerait « ni une pierre de nos forteresses, ni un pouce de notre territoire ! ».

Cependant, le 31 octobre, à la nouvelle de la trahison de Bazaine et de la présence de M.Thiers venu pour négocier avec M. de Bismarck, un frisson de colère circula dans tout Paris ; mais ni Flourens, ni Blanqui, ni Delescluze ne surent en profiter ; ils manquèrent encore de discernement et d’énergie ; maîtres un instant de la situation, ils se laissèrent déloger par un bataillon de mobiles bretons.

Cette défaillance des révolutionnaires encouragea la réaction à tel point qu’on osa arrêter d’abord Flourens et plus tard les signataires d’une affiche dénonçant les préparatifs de capitulation que Trochu s’empressa de nier ; le 6 janvier au soir on lisait sur tous les murs de Paris cette déclaration : « Le gouverneur de Paris ne capitulera pas ».

Le 19 janvier, après une sortie préparée pour la défaite, afin de lasser l’esprit de résistance des Parisiens, Trochu demandait un « armistice pour enlever les blessés et ensevelir les morts ».

Une telle impudence de palinodie causa une émotion si profonde dans Paris que son auteur dût disparaître ; surtout après la délivrance de Flourens et des autres détenus politiques par des gardes nationaux.

Mais le traître qui avait préparé la défaite fut remplacé par un général bonapartiste, Vinoy, un des complices du 2 Décembre 1851.

Les mesures que prit le nouveau gouverneur de Paris indiquèrent bientôt clairement la mission qu’il avait acceptée de M. Thiers et de Jules Favre : il s’agissait de contenir Paris pour le forcer à accepter la capitulation méditée. Le 28 janvier, Paris était livré, après quelques tentatives de soulèvement promptement réprimées.

Cette seconde capitulation ajoutée à celle de Sedan, porta à son comble la colère du peuple. Mais, comme dans les conditions arrêtées entre Jules Favre et Bismarck l’acceptation du traité par une assemblée nationale était réservée, la population, qui avait supporté avec patience et courage les privations et les souffrances d’un siège horrible, sut encore se résigner à attendre. Elle refoula ses colères si légitimes, espérant qu’on ne trouverait pas en France une majorité parlementaire assez vile pour accepter les conditions dégradantes et ruineuses imposées par l’Empereur d’Allemagne.

III

On sait combien l’espérance de Paris fut trompée et ce que fut l’Assemblée élue sous la pression de nos désastres. Il importe avant tout d’établir que cette Assemblée n’avait pas d’autre mission que de décider l’acceptation ou le rejet du traité de paix.

Nous voulons prouver d’avance que la Révolution du 18 Mars 1871 ne fut pas seulement légitimée par les provocations criminelles de ceux qui l’avait signé, mais aussi par l’attitude usurpatrice de la majorité royaliste et bonapartiste, dont les manipulations contre Garibaldi, contre les républicains et contre Paris, indiquaient déjà l’intention de renverser la République.

Louis Blanc lui-même a démontré dans son dernier ouvrage, la Constitution, que l’Assemblée de Versailles ursurpa le pouvoir constituant. On vit, en effet, le 29 janvier 1871, sur les murs de toutes les villes de France, la dépêche officielle qui annonçait la convocation des électeurs, avec limitation stricte des pouvoirs de l’Assemblée à élire, à la question de paix ou de guerre.

De plus, dans le traité en vertu duquel la convocation eût lieu, il n’y avait d’autre motif indiqué que celui de la ratification de la convention.

L’usurpation la plus manifeste et qui mit le comble à l’exaspération des masses populaires, fut le vote par lequel l’Assemblée transporta le siège du gouvernement à Versailles ; ce vote constituait une usurpation violatrice des lois et des traditions.

Paris était donc en droit de se tenir sur ses gardes vis-à-vis d’une Assemblée qui manifestait si ouvertement l’intention de fouler aux pieds ses intérêts et sa volonté de maintenir la République.

La garde nationale déclara qu’elle ne reconnaissait d’autres chefs que ceux qui auraient été élus par elle-même, et qu’elle opposerait la force à toute tentative de désarmement.

Le bruit ayant couru que les Prussiens devaient faire leur entrée dans Paris le 27, et que le gouvernement laissait intentionnellement les canons de la garde nationale à leur disposition, à la place Wagram, après avoir retiré ses troupes, – plus de 40.000 hommes se levèrent pour enlever les canons et les conduire à la place des Vosges, et quelques-uns au boulevard Ornano et à la mairie de Montmartre. La garde nationale et le peuple voulurent même marcher à la rencontre des Prussiens.

Des délégués, qui formèrent un comité central des bataillons, reçurent le mandat formel d’empêcher l’entrée des Allemands dans Paris ; mais les prétendus révolutionnaires de la Corderie conseillèrent de ne pas s’exposer à un massacre qu’ils considéraient comme devant être funeste à la République ; ils furent écoutés et les Prussiens purent entrer sans opposition le 1er mars.

Pendant ce temps, les ruraux de l’Assemblée de Bordeaux ne cessaient de provoquer Paris et prenaient leurs mesures pour aller s’installer à Versailles.

M.Thiers, voulant absolument dominer la situation, vint pour présider au désarmement parisien ; à cette nouvelle, le peuple entier se leva pour mettre les armes en sûreté, afin de les retrouver si on osait tenter un coup d’Etat en faveur de la monarchie.

IV

Les canons étaient sous la garde de quelques hommes du peuple, quand, le 18 Mars, avant quatre heures du matin, les troupes attaquèrent les parcs de l’artillerie révolutionnaire, pendant que Paris dormait.

Ce coup de main réussit d’abord à tel point que M.Clémenceau ne craignit pas d’aller, dès six heures du matin, féliciter les généraux qui venaient de l’opérer.

Mais, vers 8 heures, une foule immense d’hommes, de femmes et d’enfants se porte vers les buttes, et, se mêlant aux soldats, les empêche d’enlever les pièces déjà attelées. Après quelques combats partiels, les troupes furent repoussées ou passèrent au peuple. Le gouvernement, épouvanté, se décida à évacuer la capitale avec ce qui lui restait de forces ; il abandonna même le Mont-Valérien.

Il faut le constater clairement : sans l’initiative de la foule anonyme, sans le soulèvement spontané des masses prolétariennes, M.Thiers aurait réussi dans son attentat, il aurait désarmé le peuple.

Le Comité central lui-même n’était pas en éveil, il n’avait rien fait pour éviter une surprise et ne participa en rien à la reprise des canons, au triomphe de la Révolution qui mit en fuite le gouvernement.

Ce fut aussi la foule mêlée de quelques soldats qui fit justice de Clément Thomas et de Lecomte, que le Comité central et ses officiers de la garde nationale voulaient épargner, malgré l’ordre donné par ces deux généraux de massacrer impitoyablement la foule.

En apprenant cette double exécution, ce qui restait de gouvernement disparut : tous, ministres, généraux, députés filèrent sur Versailles.

Et, coupable incurie, le Comité central qui accaparait déjà le pouvoir, les laissa tous partir et ne songea qu’à rétablir le calme, tandis qu’il eut dû surexciter la colère publique pour l’anéantissement de ceux qui devaient plus tard égorger les Parisiens.

V

Le lendemain, 19 mars, au lieu de pousser la population et les gardes nationaux sur Versailles, le comité perdit son temps à faire du parlementarisme et à se distribuer le ministère. On ne songea qu’à élire un nouveau gouvernement, qu’à préparer les élections !… Et cela quand il fallait poursuivre et détruire les forces ennemies qui se reconstituaient. Ce n’étaient certes pas les forces qui manquaient : plus de 100.000 hommes étaient en armes, plus de 80 canons étaient attelés… et M. Thiers n’avait pas plus de 20.000 hommes avec lui.

Au lieu d’agir, on discuta sur la légitimité des exécutions de Lecomte et de Clément Thomas ! on voulait régulariser la situation.

Le comité se laissa presque dominer par Clémenceau, Cournet, Tolain, Malon, etc., qui réclamaient comme députés de Paris, la direction du mouvement tout en reconnaissant la légitimité de l’insurrection.

Disputes d’ambitieux !

L’entente devint impossible, mais on continua à perdre le temps en discussions oiseuses, en proclamations stériles, en demi-mesures, en convocations électorales.

Cette attitude hésitante encouragea les éléments réactionnaires au point qu’il fallut réprimer par la force une tentative faite à la place Vendôme.

Les réactionnaires furent dispersés, mais ils purent continuer leurs intrigues avec Versailles, sans qu’on songea même à les empêcher d’y aller.

Après de nombreux tiraillements, on aboutit enfin à faire des élections le 26 mars ; 230.000 électeurs y prirent part.

Le 28, la Commune était constituée, aux acclamations de Paris enthousiasmé ; nous verrons bientôt comment elle répondit à cet enthousiasme.

Avant de dire ce que fut le nouveau pouvoir, il est indispensable de constater que le Comité central n’avait rien fait pour compléter la victoire du peuple en dispersant les Versaillais ; il ne sut pas utiliser les forces qu’il avait sous la main, et perdit son temps à des tentatives de conciliation qui n’avaient aucune chance d’aboutir.

VI

Les premiers actes de la Commune prouvèrent qu’elle ne comprenait pas plus que ne l’avait compris le Comité central la nécessité urgente d’en finir avec Versailles : elle ne sut pas même faire respecter ses pouvoirs par le Comité central en lui faisant comprendre que sa mission était terminée.

Comme ce dernier, la Commune ne s’occupa nullement de se mettre en communication avec la province ; elle se mit à entasser décrets sur décrets jusqu’au moment où, le 2 avril, les obus qu’on avait laissés accumuler à Versailles commencèrent à tomber sur Paris surpris comme sortant d’un rêve.

Le peuple, toujours lui, voulait marcher immédiatement sur Versailles ; cent mille hommes sont prêts, mais, elle, la Commune, hésita ; elle discute au lieu d’agir sous l’impulsion populaire ; n’entendant rien aux questions militaires, elle veut s’en rapporter à ses généraux d’occasion, Bergeret, Eudes et Duval, dont elle reconnaît bientôt l’insuffisance ; elle se décide alors à nommer M. Cluseret ministre de la guerre.

Mais tous ces tiraillements avaient amorti l’élan des masses : 25.000 hommes à peine se mirent en marche, presque sans artillerie et sans chefs expérimentés.

Eudes se bornait à crier « Marchons ! Marchons ! » ; Duval se multipliait et parvenait à faire reculer le général Dubarrail ; mais n’aboutissait qu’à se faire fusiller par Vinoy.

Pendant ce temps, Flourens se laissait surprendre à Rueil par quelques gendarmes et périssait misérablement de la main du capitaine Desmarets.

Ainsi se termina cette sortie du 3 avril qui, faite le 19 ou le 20 mars, aurait donné la victoire aux Parisiens.

La défaite déchaîna des récriminations ardentes dans le sein de la Commune et avec le Comité central.

Au fond, tous étaient coupables; les uns, de ne pas avoir utilisé à temps l’élan du peuple qui devait fatalement s’épuiser dans l’inaction ; les autres, d’être sortis sans munitions et sans un nombre suffisant de canons, quand ils pouvaient disposer de plus de 200 pièces, avec lesquelles ils eussent pu fouiller le terrain sur tout le parcours de Paris à Versailles, pour ouvrir une marche rapide des bataillons vers l’ennemi, qui se trouvait à courte distance.

Cependant, Paris ne se découragea pas, il fit des prodiges de valeur pour éloigner l’ennemi de ses remparts. Dombrowsky, qui avait remplacé Bergeret, obtint des succès remarquables, malgré le manque absolu de direction de la part de Cluseret et du Comité qui continuait à fabriquer des décrets, quand il fallait ne s’occuper que de combattre et de fournir sans cesse aux bataillons engagés des renforts et des munitions. Les fédérés ainsi abandonnés durent encore reculer.

La Commune eut alors le tort de se laisser jouer par de prétendus conciliateurs en les laissant faire des tentatives d’arrangement, qui n’eurent d’autre résultat que d’affaiblir son autorité morale et d’amener des querelles intestines ; les Versaillais profitèrent seul de ces agissements qui permirent à M. Thiers, tout en continuant à lancer sur Paris des bombes incendiaires, de former une armée de 135.000 hommes pourvue de 300 bouches à feu.

Le projet d’une attaque générale de la part des assiégeants était devenu évident ; malgré cela, la commune, ni ses généraux, ne prirent des mesures en prévision d’une trouée de l’ennemi dans Paris. Personne ne songea à utiliser les énormes provisions de poudre pour préparer des mines sur tout le parcours que les assaillants devaient suivre, avant d’arriver au centre de la capitale.

On laissa Cluseret prélasser beaucoup trop son inutilité et ses ridicules prétentions à travers les bureaux de la guerre où il cherchait surtout à accaparer la direction financière, comme il avait voulu le faire précédemment à Lyon, auprès du Comité fédératif.

En somme, on laissa aller tout au hasard, sans même arrêter le fonctionnement des administrations antérieures, qui n’avaient pas de raison d’être en pleine Révolution : on voulut gouverner le peuple au lieu de le déchaîner, et chacun prétendit le mener à sa guise.

Discussions stériles, conflits de rivalités, manifestations bruyantes, telle fut, en résumé, l’œuvre de la Commune jusqu’au moment de la nomination, le 1er mai 1871, du Comité de Salut public composé de Ranvier, Arnaud, Léo Meillet, Pyat et Gérardin.

VII

La commission exécutive, qui avait fait place au comité de salut public, avait, avant de disparaître, fait justice de l’outrecuidance et de l’apathie de Cluseret en le remplaçant par Rossel.

Le nouveau délégué à la guerre semblait vouloir beaucoup faire ; mais tout se borna à des agitations stériles : rien ne fut préparé pour la bataille dans Paris, seul point où l’on pouvait désormais vaincre Versailles.

Bientôt, se reconnaissant impuissant, ou plutôt incapable, malgré ses attitudes prétentieuses, Rossel donna sa démission en rejetant la faute de tout le désordre sur la Commune elle-même et sur les divers comité qui se disputaient la suprématie.

Malgré cette déception, le Comité central osa lui proposer la dictature, tout en le retenant prisonnier ; on semblait vouloir lui imposer la responsabilité d’une situation pleine de dangers.

Rossel se tira de cette singulière situation en s’évadant, tandis que les membres de la commission chargés de le garder s’étaient éloignés.

Thiers était désormais maître de la situation ; il avait rempli Paris de mouchards et d’agents provocateurs qui mettaient partout la confusion. Delescluze, à qui on avait confié in extremis la direction suprême, ne pouvait plus rien.

C’est alors qu’on s’amusa à démolir la colonne Vendôme, au son de la Marseillaise, sans songer que le plus pressant était de préparer l’anéantissement de l’armée versaillaise dans Paris.

Et M. Thiers bombardait toujours et partout ; malgré le petit nombre de ceux qui restaient sur les remparts, la résistance était tenace, Dombrowsky faisait des prodiges de ténacité.

Cependant, sous la pluie continuelle d’obus et de boîtes à mitraille, la constance faiblit et les remparts se dégarnirent assez pour permettre à un misérable, nommé Ducatel, de grimper sur le bastion n°64, à la porte de Saint-Cloud, et de crier aux assaillants : « Vous pouvez entrer, il n’y a personne ».

A cette même heure où l’ennemi rentrait dans Paris, Vaillant, membre de la Commune, délégué aux Beaux-Arts, présidait une répétition des chœurs de l’Opéra, comme s’il pouvait y avoir, à ce moment, d’autre art utile que celui de la guerre !

A la Commune, où l’on aurait dû s’occuper de miner Paris et de construire au moins des barricades, on continuait à discuter, ou plutôt à se disputer.

On laissa les soldats de Versailles pénétrer tranquillement dans l’enceinte, malgré les efforts héroïques de Dombrowsky, à qui on n’envoyait pas de renforts, et qu’on osa ensuite accuser de trahison, pour dégager la responsabilité des divers comité et des hommes de l’Hôtel de Ville.

Alors, mais alors seulement, on songea à s’en rapporter aux initiatives populaires, à armer ceux à qui l’on avait refusé précédemment des armes, mais il était trop tard.

Nous ne raconterons pas les égorgements accomplis par les soldats de l’ordre ; tout le monde sait les instructions sanguinaires données par M.Thiers, et comment elles furent exécutées par des généraux qui, après avoir lâchement capitulé devant les Prussiens, voulurent laver leur infamie dans le sang des Parisiens trahis, vaincus et désarmés.

Nous avons voulu démontrer, par la relation succincte des faits, que les responsabilités de l’inaction de Paris, après la révolution victorieuse du 18 Mars, et celles de la défaite finale incombent aux hommes d’autorité qui s’efforcèrent de s’emparer du mouvement et dont les ambitions rivales occasionnèrent les tiraillements qui immobilisèrent les forces révolutionnaires.

Nous désirons que le peuple puise dans la lecture de notre relation un enseignement pour la prochaine révolution : c’est qu’il ne doit s’en rapporter qu’à lui-même et ne jamais souffrir qu’on arrête ses élans spontanés.

Qu’on le sache bien, les inspirations des masses déchaînées sont toujours plus conformes au véritable intérêt public que celles des ambitieux ou des pédants.

VIII

Avant de terminer, il convient de dire un mot des soulèvements partiels qui eurent lieu en province.

De même que la Commune de Paris eut le grand tort de ne pas se mettre en communication avec les départements, ou du moins avec les villes soulevées, les commissions qui dirigèrent les divers mouvements provinciaux eurent le tort de ne pas se mettre en rapport constants pour combiner une action commune. Cette entente aurait donné plus de confiance aux populations et aurait empêché les défaillances qui se manifestèrent notamment à Toulouse.

Il est vrai qu’à Narbonne des délégués furent envoyés aux villes voisines pour les inviter à se soulever ; mais malheureusement, à l’exception de Perpignan, il ne s’y trouva que des hommes, Jules Guesde, et Marcou, par exemple, qui préférèrent rester dans l’inaction que de s’exposer à des dangers, en aidant une révolution dont le succès ne leur paraissait pas assuré.

Mais ces démarches, de la part de la Commission communaliste de Narbonne, n’étaient pas suffisantes. C’est avec Marseille et Lyon qu’il aurait fallu s’entendre ; et, en présence de l’immobilité dans laquelle l’influence funeste de certains faux révolutionnaires tenait les populations de Carcassonne, de Cette, de Montpellier, etc., etc., on aurait dû sortir de la ville avec six cent hommes dévoués qui s’étaient levés, pour brandir de village en village, de ville en ville, le drapeau de la Révolution. Là, comme ailleurs, on commit des fautes qu’il faudra éviter à l’avenir ; ce n’est pas en restant enfermés dans des villes dont l’investissement est facile qu’on étendra la Révolution. Que le passé nous serve de leçon.

Pour révolutionner la France et le monde, il faut aller constamment en avant, de l’action, toujours de l’action ! En révolution, le repos amène la défaite et la mort.

Il ne s’agit pas de bien mourir comme Delescluze, Varlin, Vermorel, Bourgeois, Ferré et tant d’autres : il s’agit de combattre sans cesse, jusqu’au jour du triomphe. Que le passé nous serve de leçon.

Depuis des siècles que l’humanité est exploitée, les ambitieux ont toujours réussi à la trahir. Il ne faut pas que cela se renouvelle. Que le passé, encore une fois, nous serve de leçon !

Plus de maîtres ! Que la liberté absolue que nous appelons de tous nos vœux vienne supprimer les inégalités sociales.

Pas de discours inutiles. Plus de parlementarisme. Que la violence seule vienne faire comprendre à nos exploiteurs que nous t’entendons plus nous laisser tondre comme des moutons.

Le jour où le peuple se lèvera, les bourgeois, semblables à des taupes, se tapiront au plus profond de leurs trous. Que ce jour là, jour de victoire, le peuple le veuille, et il sera maître de la situation, et, enfin régénérée, redevenue libre et fière, la société évoluera enfin et progressera au milieu du bonheur et de la félicité.

Les Groupes Anarchistes Bruxellois.

Source: La Commune de Paris devant les anarchiste, Bruxelles, 1885.

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